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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 09:17

Fichier:Bundesarchiv Bild 183-S13651, Fritz Haber.jpg

Fritz Haber (Nobel de chimie 1918) doit sa gloire à la synthèse de l'ammoniac à partir de l'azote atmosphérique, ce qui permet de fabriquer des engrais, donc de juguler la faim dans le monde. Mais cet homme est aussi l'initiateur de la guerre chimique et l'inventeur du funeste Zyklon B.

Prix Nobel de chimie en 1918

Il commence ses études au prestigieux St. Elisabeth Gymnasium de Breslau, où l'on dispense une instruction classique de haut niveau, et finit par un doctorat en chimie organique en 1891.

 

Appareil de laboratoire pour synthétiser l'ammoniac (1909)

 Jusqu'en 1911, il développe le procédé Haber, un procédé de formation catalytique de l'ammoniac à partir d'hydrogène et d'azote dans des conditions de haute température et haute pression, que BASF adoptera en 1909. Il devient riche et influent. En 1914, il est l'un des signataires du Manifeste des 93 : ce document, publié en Allemagne dans La Revue Scientifique le 4 octobre 1914 en réaction au repli allemand lors de la bataille de la Marne, soutenait la politique guerrière du Reich et de son Kaiser. Il obtient la médaille Liebig en 1914. Pendant la Première Guerre mondiale, il travaille activement à la mise au point d'armes chimiques et l'emploi du chlore comme gaz de combat (« vagues dérivantes ») reçoit l'accord de l'état-major allemand .

 

L'arme chimique :
Dès la première bataille de la Marne en septembre 1914, certains généraux allemands savent que la victoire sur le front occidental sera difficile. Ce qui aurait dû être une simple promenade pour les troupes du Kaiser, était en fait une guerre de tranchées, où les soldats s'embourbaient. Le chef d'état major, Erich von Falkenhayn, charge donc Walther Nernst d'une recherche sur les gaz irritants et lacrymogènes pour obliger les soldats alliés à quitter leurs positions et pratiquer la guerre ouverte. Nernst échoue, et Fritz Haber s'offre pour prendre sa suite. Il s'agit cependant d'une question délicate : deux Traités signés à la Haye en 1899 et en 1907, ratifiés ensuite par l'Allemagne, proscrivaient formellement l'usage des gaz de combat. Le premier texte stipulait que " les puissances signataires s'accordent pour s'abstenir d'utiliser tout projectile dont le seul but est la diffusion de gaz asphyxiants ou délétères ", et le deuxième interdisait l'usage des poisons et des armes toxiques en temps de guerre. Les gaz lacrymogènes faiblement concentrés, donc non mortels, seraient-ils également prohibés ? Quoi qu'il en soit, les Français lancent les premiers ce genre de produit sur les Allemands.
Le mois suivant, un test avec des obus chargés de gaz lacrymogène montre qu'ils sont inefficaces. Falkenhayn prend alors la responsabilité de couvrir la fabrication des poisons de guerre. Une intervention personnelle du kaiser impose à une hiérarchie militaire hostile d'élever Haber au grade de capitaine, sans commandement, bien sûr. Malgré cette restriction, l'intéressé jubile : cette récompense sans précédent pour un savant né juif le remplit d'une grande fierté.
Le chlore devient alors la pièce maîtresse : il peut être produit en grande quantité dans l'industrie des colorants. Gaz lourd, il ne s'envole que lentement lorsqu'il est répandu sur le sol, donnant ainsi le temps au vent de l'emporter vers la cible choisie. Falkenhayn comprend vite l'intérêt de cette procédure qui contourne l'interdiction de l'usage des " projectiles ". Y a-t-il quelqu'un d'assez stupide pour ne pas voir qu'un gaz versé par terre n'est pas transporté par projectile ?
Haber organise aussitôt une équipe avec Walther Nernst et quelques futurs prix Nobel, citons parmi eux James Franck (physique, 1925), Gustave Hertz (physique, 1925) et Otto Hahn (chimie, 1944). Signalons également la présence de Carl Duisberg, directeur de la puissante Bayer, qui met au service de la cause l'appareil productif de son entreprise. En revanche, Haber essuie le refus de Max Born et d'Emil Fisher. " Du fond de mon coeur patriotique, je vous souhaite l'échec ", dit ce dernier à Haber en faisant ce sombre pronostic : " après les Allemands, les autres feront la même chose "


Haber sur le terrain

Langemarck (près d'Ypres, Belgique) semble le site idéal pour la première attaque. En avril 1915, des Algériens et des Canadiens portant des uniformes français et anglais sont nombreux à défendre la ville. Sous la surveillance personnelle de Haber, les Allemands enterrent, la nuit, des centaines de fûts, approximativement 170 tonnes de chlore, sur une ligne d'environ 6 kilomètres : il indique précisément les emplacements pour les enfouir. Pendant plusieurs jours, Haber attend que le vent souffle dans le bon sens. Et aussi à la bonne vitesse. Si elle est trop forte, le poison se disperse sans avoir le temps d'agir ; en revanche, si elle est trop faible, les assaillants s'exposent au retour possible d'effluves dangereux. Ainsi, l'attaque ne survient que le 22 avril, alors que Falkenhayn, impatient, avait déjà retiré une partie de ses troupes, affaiblissant donc le potentiel offensif allemand.
Aussitôt ouverts, les fûts dégagent un nuage verdâtre qui dérive lentement sur les troupes françaises. L'effet est terrible : le poison qui corrode la bouche, les yeux et les bronches provoque des hémorragies. Asphyxiés, les hommes, deux mains à la gorge, sortent des tranchées en crachant du sang, à recherche du moindre souffle. D'autres, aveuglés, sautent à petit pas, tombent et agonisent dans la souffrance. Les soldats qui vont au secours des malades sont fauchés par les mitrailleuses. Pas étonnant donc qu'ils abandonnent leurs positions, ouvrant ainsi une brèche sur le front.
Au-delà de l'aspect moral, ce crime de guerre aura une répercussion terrible lorsque Haber retournera à la maison : à la suite d'une violente altercation (où se mêlaient aussi des questions de jalousie), sa femme, indignée, se suicidera dans la nuit du premier mai avec un pistolet. Réveillé par la détonation, terrorisé par la scène, son fils de quatorze ans trouvera sa mère moribonde dans une flaque de sang. Aussitôt que le jour se lèvera, Fritz Haber partira sur le front de l'est.
En 1917, Haber se remarie avec Charlotte Nathan, une très jeune femme qui lui donnera deux enfants, dont Ludwig, historien des sciences spécialisé dans l'arme chimique. À l'époque de son mariage, Fritz Haber dirigeait depuis un an une fondation destinée aux armes nouvelles, c'est-àdire aux poisons de combat, fonctions qu'il remplira consciencieusement jusqu'à la fin de la guerre. Il aura sous sa responsabilité environ 200 chercheurs. " L'État Major a rencontré en mon père - dira Ludwig - un organisateur énergique, déterminé, et peut-être même sans scrupule. "  Il mettra au point des gaz encore plus mortifères que le chlore, par exemple le phosgène et l'ypérite , sans oublier d'accroître la production d'ammoniac, produit fondamental pour la guerre mais aussi pour ses finances. Avec le recul, on sait que l'usage des gaz n'a pas permis à l'Allemagne de remporter la victoire. C'est Fischer qui avait raison : en peu de temps, les belligérants s'arrosaient mutuellement de gaz vénéneux .

 

Doté d'une solide formation en philosophie, imprégné de littérature et de musique, il avait souvent confondu germanisme et christianisme, et devint patriote jusqu'à la caricature. Il n'avait jamais émis la moindre critique envers le pouvoir, quelle que soit la politique suivie. Sauf à la fin de sa vie. Peu avant sa mort, en quittant l'Allemagne nazie, il regrettera cette attitude en ces termes : "J'ai été allemand à un tel point que je ne m'en rends vraiment compte qu'aujourd'hui."

 

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commentaires

F
<br /> Bon article... très complet !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Bonjour Charlène<br /> <br /> un homme d'une grande intelligence mais qui a crée pour semer la mort<br /> <br /> oui le génie peut oeuvrer pour ou contre l'humanité<br /> <br /> bravo pour tout ce travail de recherches<br /> <br /> bisous et bonne journée<br /> <br /> <br />
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